Vers une Europe macro-régionale?

Alexander Stubb, célèbre politicien finlandais parmi les pro-européens, avait dit en 2014, que la réussite dont il est le plus fier de ses années passées en tant que MPE entre 2004–2008 est sa participation au travail d’un groupe parlementaire. Phase qui a culminé avec la création de la première stratégie macro-régionale européenne en 2009 focalisée sur la mer baltique (EUSBSR). Dans le cadre de sa fonction, il a notamment collaboré avec Toomas Hendrik Ilves, actuel chef d’état estonien.

Le concept des stratégies macro-régionales est d’organiser des territoires transnationaux, fluides et variables autour d’un espace où il existe un défi fonctionnel. Par exemple autour d’un fleuve commun à plusieurs pays pour le protéger de la pollution, encourager le tourisme, etc. La deuxième stratégie inaugurée en 2011 est celle du Danube (EUSDR). La troisième, lancée en 2014 concerne la mer Adriatique-Ionien (EUSAIR). La dernière en date a été créée pour l’espace des Alpes en 2015 (EUSALP). L’Europe est donc presque couverte de macro-régions. Ces stratégies ont déjà explicitement influé d’autres organisations territoriales, bien qu’elles ne soient pas encore considérées comme des stratégies macro-régionales officielles. Par exemple autour de la mer Nord. De plus, il y a d’autres espaces directement affectées par ces stratégies officielles, notamment l’Arctique.

Si l’ordre des tâches des macro-régions n’est pas nouveau, la tentative d’intégrer autant d’objectifs dans un même projet l’est. Étant basé sur une synthèse des efforts, le succès des stratégies est donc conditionné par la qualité des institutions préexistantes.  C’est la raison pour laquelle l’EUSBSR est considérée comme la stratégie la plus exemplaire par sa longue histoire de coopération également maintenue pendant la guerre froide.

Alexander Stubb a expliqué que, du moins dans le cas de la stratégie baltique, le problème le plus important réside dans l’existence d’un trop grand nombre d’objectifs qui ont empêché la mesure des progrès. La Commissionnaire de la politique régionale de l’U.E., Corina Crețu, a donc appelé à la réduction générale des priorités des stratégies macro-régionales. Bien que la création des stratégies soit récente, leur établissement est déjà si profondément enraciné dans les réseaux des projets régionaux qu’il est difficile de les réformer. Ces efforts ont dès lors provoqué de fortes réactions des hauts officiels concernés.

Pourtant, la limitation la plus remarquable est celle des « trois nons » [18] bien connus de ceux qui s’intéressent à ce phénomène de gouvernance. Ces « trois nons » restreignent intrinsèquement le progrès futur des stratégies en déclarant qu’il n’y aura pas plus (1) d’institutions, (2) de nouvelles lois, (3) de nouveaux financements liés aux stratégies. L’origine de ces interdictions se trouve dans les attitudes sceptiques exprimées notamment par les gouvernements britannique et allemand.

Si les stratégies sont à ce point limitées, pourquoi leur donner de l’importance ? Pour commencer, les « trois nons » n’ont pas été strictement implémentés dans la pratique étant donné que les trois conditions ont déjà été violées. Aussi, la politique régionale de l’U.E. constitue désormais la plus grande partie du budget puisqu’elle représente le tiers des fonds de l’Union. Et en plus, l’Europe a établi un fort précèdent en tant que partie du monde qui génère les développements supranationaux les plus innovateurs. Étant passé du noyau du contrôle géopolitique du monde au simple théâtre potentiel d’une éventuelle future guerre entre les E.U. et l’U.R.S.S., l’Europe a expérimenté une confluence unique de circonstances qui ont rendu possible la transformation du concept originellement européen d’état nation. Aujourd’hui, partout dans le monde, de nombreuses régions s’inspirent du modèle européen. Les innovations de gouvernance européennes ont donc la capacité de croître rapidement. Par exemple, le programme régional « Interreg » est né en 1990 avec un budget équivalant à un peu plus d’un milliard d’euros et représente actuellement dix milliards d’euros.

De ce fait, même avec les restrictions des « trois nons », et – peut-être plus important encore – le contexte d’austérité d’aujourd’hui (qui est tout à fait différent du contexte de croissance économique et d’élargissement de l’Union qui a accompagné le progrès de « Interreg »), il est important de regarder avec intérêt le progrès des stratégies macro-régionales. Ils ont la capacité de combattre des problèmes divers, de la pollution aux relations avec la Russie. Plus concrètement, l’EUSBSR a récemment aidé à procurer des fonds substantiels pour le projet prioritaire « Rail Baltica », qui sera indispensable pour le futur de l’infrastructure de l’Europe de l’Est.  L’expansion des stratégies durant les dernières six années est remarquable. Après une croissance initiale spectaculaire, il faudra regarder avec beaucoup d’intérêt le développement des stratégies macro-régionales de l’U.E. Leur méthode de transcender les frontières nationales et de fonctionnaliser la coopération porte beaucoup de promesses pour l’avenir de la gouvernance en Europe et par conséquent dans le monde.


L’auteur du présent article a participé au travail éditorial d’un livre pour Palgrave Macmillan, qui s’appelle A Marco-Regional Europe in the Making : Theoretical Approaches and Empirical Evidence et d’une série d’articles pour une édition spéciale du Journal of Baltic Studies (à paraître). Ces deux projets se centrent sur le thème des « stratégies macro-régionales » soutenues par l’Union européenne. Environ trente professeurs de toute l’Europe ont contribué à la rédaction de ces deux publications.

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