Paranoïa ou menaces avérées ? La perception de la Russie dans les Pays Baltes

Les mots sont forts, la peur répandue, le cri d’alarme est retentissant. Lors du voyage d’études de la Promotion Chopin aux Pays Baltes, la perception du voisin russe est le fil conducteur des rencontres et conférences qui se succèdent, avec responsables politiques, chercheurs et journalistes locaux. Au premier regard, elle ressemble à de la paranoïa. Progressivement, elle devient une prise de conscience, une tentative de résilience face à la grande puissance qui pointe son regard sur les pays de l’Est de l’Union Européenne. Nous avons choisi de graver les mots et les définitions que nous avons entendus à Vilnius, Tallinn et Riga, pour ensuite s’interroger sur les deux principales conséquences : la peur de la Russie se transforme-t-elle en dépendance vis-à-vis des Etats-Unis et de l’OTAN? Dans quelle mesure les différends sur le « péril » russe pourront isoler les pays Baltes au sein de l’UE?

Le spectre des « zagotovki »

« Je me demande quand l’Europe commencera-t-elle à voir les choses comme elles le sont vraiment. Que devra-t-il se encore passer? ». Le mot de bienvenue, à l’Université de Vilnius, est signé Gabrielius Landsbergis, 32 ans à peine, parlementaire européen et leader des Chrétiens Démocrates en Lituanie. Tout au long du séjour, les choix lexicaux plus forts sont employés par les lituaniens, bien qu’ils hébergent une communauté russe plus restreinte (7% désormais, contre 25% en Lettonie et 27% en Estonie). Žygimantas Pavilionis est l’ambassadeur lituanien pour l’Europe de l’Est. Contre la menace russe, il évoque la coalition Intermarium (de la mer Baltique à la mer Caspienne), souhaitée par le chef d’Etat polonaisMarechal Piłsduski après la Première Guerre Mondiale. « Les zombies anti-démocratiques sont en train de gagner partout. La guerre froide est de retour. Si l’Europe est plus du côté des russes qu’avec nous, là il y a un petit problème ». Les symboles sont autant importants que les mots : dans sa présentation face aux étudiants du Collège, le ministre de l’Energie lituanien, Rokas Masiulis, choisit un tigre pour représenter la Russie, et un pistolet visant les pieds pour indiquer la dépendance énergétique avec Gazprom. Tomas Jermalavicius, chercheur à l’International Centre for Defence and Security (ICDS) de Tallinn, choisit la métaphore musicale : « Avec sa guerre hybride, Poutine joue du jazz. Il adore improviser. Il a besoin de temps en temps de petites proies pour faire peur ». « Maskirovka » (camouflage et dépistage) et « Zagotovki » (les hommes et les espions qui préparent l’avancée russe dans les pays voisins), sont deux autres mots qui reviennent du passé. La télévision russe est enfin « une boite sanglante », qui transmet « de la propagande de guerre 24 heures sur 24 et sept jours sur sept », selon la définition du journaliste letton d’origine américaine, Karlis Streips.

De l’ours à l’oncle Sam

« Dessinez la ligne avant que les Russes ne le fassent pour vous », insiste l’ambassadeur Pavilionis. Fantasme ou réalité, la peur de l’ours pousse les pays Baltes dans les bras (grands-ouverts) de l’oncle Sam. La chargée d’affaires américaine à Tallinn, Chever Voltmer, distribue les bons et mauvais points, félicitant le meilleur élève post-soviétique qu’est l’Estonie. Pays aux frontières incertaines avec la Russie qui, partout dans la région (Finlande, Suède), multiplie les intimidations, sous forme de violations d’espaces aériens ou d’attaques informatiques. Les « méthodes russes » dépassent donc le simple soft power. « Interventions en Géorgie et en Ukraine, réarmement, déploiement de troupes ou encore simulations de bombardement atomique sur Varsovie et Stockholm (…), combien de signaux d’alarme » seront nécessaires, s’interroge Pauli Järvenpää (ICDS, Tallinn). La région serait le point faible de l’OTAN, en particulier en raison de budgets de défense insuffisants, ce qui encouragerait aussi l’action russe.

Pourtant, il s’agit surtout de « la défense de valeurs communes » affirme Mme Voltmer. Valeurs démocratiques, à travers le libéralisme économique opportuniste ou la défense sincère de la liberté ? La diplomate évoque la politique de non-reconnaissance de l’annexion soviétique des pays Baltes, adoptée par les Etats-Unis après la guerre, comme symbole de cette relation privilégiée, et préfère parler « d’engagements » plutôt que « d’intérêts ». La continuité de la guerre froide, le traumatisme de l’occupation soviétique et le fameux « poids du passé » pourraient justifier cet hyper-atlantisme et surtout cet européisme limité.

Manque de leadership européen

Où se situe l’UE entre le cauchemar russe et la protection militaire que les Etats-Unis apportent aux pays Baltes ? Selon Karlis Bukovskis, vice-directeur de l’Institut Letton d’Affaires Internationales, « L’Union Européenne tend à marginaliser les Etats Baltes bien qu’ils occupent dans l’agenda une place égale à la Pologne ou à d’autres pays européens ». Avec les effets négatifs de la crise sur le budget national, seule l’étroite coopération de la Lettonie avec l’OTAN peut garantir un système de défense collectif sur le long terme. Au niveau international, la guerre en Syrie, l’annexion de la Crimée par la Russie et la crise des réfugiés sont la preuve que l’UE est incapable de prédire les scénarios, même quand les Etats membres s’accordent sur la nécessité d’intervenir. « L’Union Européenne peut trouver un consensus sur les réactions, jamais sur les prédictions »,  résume Toms Rostoks, du département de sciences politiques de l’Université de Lettonie. Selon Paul Tessalu, ancien ambassadeur d’Estonie en Egypte, « l’architecture de la sécurité européenne est loin d’être définie. L’Union doit expliquer de façon persuasive que veut-elle faire en Ukraine et dans le monde arabe ». Aux yeux de l’opinion publique Balte, le leadership européen en politique extérieure est inexistant. Et pourtant, cette région si fragile d’un point de vue géopolitique, en a énormément besoin.

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